Le choix

Le choix de devenir médecin métier qui m’a tant appris sur la vie et continue encore à m’apprendre s’est fait sur plusieurs critères qui avec le temps m’apparaissent assez pertinents. Cela ne se réalise pas par hasard. L’envie de trouver le remède pour lutter contre la mort et notre fin inéluctable m’a été proposée par quelques proches comme explication. Sincèrement je ne le crois pas. C’est surtout une générosité spontanée, et l’envie d’aider l’autre en ayant une fois dans l’homme qui a été un moteur. Cette source si elle se tarit un seul moment donne à notre métier un goût amer et sans saveur. Cette motivation de donner sans compter mais aussi  d’avoir du courage ainsi que beaucoup d’humilité est une composante primordiale. Certes la mort et la souffrance fascine mais pour ne pas se laisser désarmer ou abdiquer il est nécessaire d’avoir une foi qui ne s’invente pas. Je ne suis pas particulièrement croyant, mon métier m’a appris plutôt l’existentialisme, mais  je pense que c’est d’un élan similaire que doivent parler ceux qui le sont. Celui-ci se doit seulement pour le médecin d’être constant et permanent, dés qu’un malade lui a accordé sa confiance et livré sa santé.

Lorsque j’ai pensé « faire médecine » comme cela se dit encore, j’étais en terminale C.

La voie scientifique, royale pour pouvoir choisir ce que beaucoup considèrent encore maintenant des métiers « valables ». L’élitisme déjà prôné à cette époque entrainait les parents à  engager leurs enfants s’ils le pouvaient, dans cette voie. La motivation des futurs bacheliers n’était pourtant pas forcément scientifique. J’aimais beaucoup le dessin où mes résultats étaient bien meilleurs qu’en mathématique ! Les poètes m’avaient également inspiré avec passion lors de l’année du bac français. La musique me plaisait aussi. Un peu moins à mes parents, car nous réunissions au sous-sol de notre pavillon de banlieue avec un collègue, faisant trembler les murs des accords électriques de nos guitares et d’une boite à rythme. C’était un obstacle majeur à la sieste du week end de mon père.

Bref ce qui m’attirait n’était pas particulièrement scientifique, mais cela n’était pas une caractéristique qui m’était propre quand j’observais mes copains de terminale C.

Cette classe demandait beaucoup de travail. Très vite les mathématiques étaient devenues pour moi un calvaire. Malgré une application résignée mes résultats étaient piètres. Le professeur inexorablement abandonnait les plus faible pour pouvoir présenter aux portes des grandes écoles une dizaine d’entre nous. Tant pis pour les autres, il n’avaient cas se débrouiller. Mes notes moyennes  étaient suffisamment basses pour rendre inaccessible toute école d’ingénieur ou autre école suffisamment prisée aux yeux de cette élite.

J’avais bien essayé de parler d’architecture, qui alliait selon moi créativité graphique et science.

Mon père qui côtoyait quelques bâtisseurs dans son métier, m’en avait décrit un avenir si sombre, que je n’y pensais plus d’emblée.

La médecine pourquoi pas ?

Cela ne me semblait pas à priori une vocation première. Dans mon imagination elle alliait les qualités d’une science humaine et un versant scientifique. Le médecin devait pouvoir avoir une âme de poète, et user de son art avec une rigueur scientifique.

L’image de notre  « médecin de famille » de l’époque qui me soignait depuis mon enfance  avait finit par me décider.

Il était toujours jovial et pressé quand il venait à mon chevet. Il se penchait sur mon buste y posant le stéthoscope froid. Son regard semblait alors un instant absent. Ses sourcils prés de mon visage, avaient la particularité de faire des pointes. Je respirai amplement comme il me le demandait les narines remplies de l’tamosphère d’eau de lavande qui devait être sa lotion de rasage. Sa tête ronde, son regard souriant ne laissait jamais percer la moindre angoisse le moindre doute, je sais maintenant qu’il e avait forcément. Le cérémonial de l’examen, quelques mots et déjà je me sentais mieux. Il écrivait en larges lettres illisibles une ordonnance salvatrice en rassurant mes parents. Il nous  parlait alors un peu de la Bretagne où nous passions également nos vacances en refermant sa sacoche qui avait cette odeur particulière mêlée d’antiseptique alcoolisés et de vieux cuir.  Il repartait ensuite vers ses autres malades. Je l’avais toujours admiré et je m’imaginais maintenant  bien endossant son blazer bleu usé aux coudes.

Je le remplacerai plus tard à la fin de mon internat alors qu’il devait se faire opérer d’un cancer de la gorge dont les complications l’emporteront peu de temps après. Je crois que je lui dois beaucoup dans mon choix de carrière et que c’est grâce à lui que j’ai sût rester humble.

Le choix était difficile mais je le fis de façon ferme, pour rassurer mes parents. Tout le monde savait que ces études étaient longues et que le couperet de la première année tombait sans faillir à la moindre hésitation.

La motivation, celle réelle de réussir coûte que coûte  et l’envie est venue par la suite.

 L’émulation fort heureusement s’est déclenchée dés mon entrée en faculté. L’amphithéâtre immense, la gestion totalement libre de mon organisation de travail aurait pu me dérouter. J’allais mettre un point d’honneur à passer ce concours du premier coup. Je savais que mes résultats moyens en terminale n’étaient pas dû qu’à moi mais sans doute beaucoup à  l’enseignement défaillant que j’avais reçu en classe de première en mathématique et à la pédagogie sélective de mon professeur de terminale. Je voulais laver cette injustice et prouver aux miens que j’étais capable. Nous étions plus de 550 pour 130 reçus. Les primant avaient moins de d’un chance sur cinq d’accéder à l’Eden.

Je fis rapidement des sous colles avec un collègue Syrien, qui était venu en France pour apprendre une médecine de réputation mondiale. Nous nous interrogions mutuellement après les cours. Mon temps était rythmé par les trop rares cours le matin et les quelques travaux pratiques et les heures à la « BU », la bibliothèque universitaire. Les couchers à minuit la tête pleine se succédaient en semaine. Je m’accordai un peu de repos le samedi, pour revoir les copains, qui me semblaient finalement pas si mal lotis dans leur prépa où l’encadrement existait.

Et ce fut vite le grand jour. Le concours dans la grande salle de la maison des examens d’Arcueil. Plusieurs sessions de première année étaient réunies sur différents étages.

Je couchais sur le papier avec application tout ce que j’avais appris, classé lus et relus toute l’année. Cela se passait bien, j’étais content de moi. Deux examens avait lieu un en hivers puis un deuxième en Juin. Nous n’avions pas entre les deux le classement. Il était dur de poursuivre pour certains qui n’avaient pas bien réussi la première épreuve, ou tout du moins en avait l’impression. Les rangs de l’amphithéâtre s’éclaircissaient. Une centaine d’étudiants s’étaient épuisés à mi chemin. Moi je tenais bon. Mon rythme de marathonien je l’avais très vite adopté et cela semblait payer.

La deuxième épreuve aurait pu tout anéantir.

Les statistiques, la biophysique s’étaient déroulée sans problème. L’anatomie fût un régal. Il fallait nommer les muscles, connaitre leurs fonctions. Cette matière qui pouvait paraître rébarbative car faisant appel au par cœur me plaisait. J’avais  dessiné les tendons, les os, avec application à l’encre de chine et  reporté ensuite la couleur. C’est ainsi que je les visualisais tous avec précision.

La question d’anatomie comportait la description d’une coupe d’un membre, et une question rédactionnelle. Je traitais avec délectation le » creux axillaire » zone complexe sous l’articulation de l’épaule et du thorax. La question me parut longue durant l’épreuve. C’était la dernière, ensuite les vacances s’offraient à moi. A la sortie je retrouvais mon collègue de sous colle, il semblait un peu déçu. Nous comparions nos réponses. Il n’avait lui pas trouvé les questions trop longues.

A juste titre je m’aperçus avec horreur que c’était le creux poplité qu’il fallait traiter. Il n’y avait que de creux sur le corps, j’avais choisi le plus complexe. A ce stade, tout s’écroulais devant moi. Je n’aurai pas médecine. L’histoire, le travail fourni en voulut fort heureusement autrement. Je fus finalement admis dernier de ma promotion. C’est un ami de mes parents qui avait essuyé la cohue dans le hall de la faculté, et amenuisé mon anxiété. Je n’avais eu qu’à l’appeler après la bataille, car nous étions déjà parti en vacances dans le sud de la France.

 Il me fallut choisir dentaire, car il ne restait plus que cela. 

Mes vacances pourtant méritées furent ainsi moroses. Rien n’y faisait, je ne n’arrivais pas à me convaincre pour cette nouvelle voie. La rentrée arrivée, je fis ma première journée à la Garancière en dentaire. Les dents rien que les dents, toujours les dents, décidément il m’était impossible de poursuivre ainsi. J’étais décidé à redoubler.

De retour le soir à la maison, ma mère m’appris que le doyen de la faculté avait appelé. Un étudiant de médecine souhaitait finalement permuter. Enfin j’étais en deuxième année de médecine. Je rejoignais Cochin port royal pour y poursuivre mes études.

Ainsi mon entrée en médecine aura connue l’incertitude et la mouvance d’un diagnostic à porter et du bon traitement à donner. Cela tient souvent à un rien circonstanciel. J’aurai pu me tromper. Aucune valeur humaine ne m’était demandée pour passer cette épreuve. Seuls le travail et l’application m’ont récompensé. Combien auront aussi franchit cette étape sans avoir le sens de l’humain tellement primordial. C’est ainsi.

Les années passent et aujourd’hui encore les futurs médecins sont toujours sélectionnés par des « QCM » question à choix multiples qu’engloutissent un ordinateur pour classer ou non le candidat. L’humanité  peut transparaître dans une étude de texte à mi chemin entre la philosophie et l’éthique qui fait l’objet d’une rédaction. Cela est un peu mieux. Il n’y aura aucun entretien aucune explication sur ce qui les attend et de l’immensité de la tâche.. C’est l’aberration de nos sélections. Parler avec un autre est jugé plus utile pour Science Po ou les écoles de commerce.

 Ceux qui n’auront  pas su avant souffriront des fois toute une vie. Faire marche arrière est difficile après un tel concours, se désavouer aussi. Si les candidats à ce beau métier pouvaient lire les lignes qui suivent et alors être certains que c’est ce qu’ils veulent, alors je pense qu’ils le mériteront. Je crois qu’autrement heureusement on ne fait pas ce métier par hasard.