Mourir au fond du couloir.

Elle sait que la fin est proche.
Elle attendait dignement dans le fond du couloir à gauche que l’on vienne s’occuper de son époux. Elle s’est approchée doucement du bureau, nous a demandé gentiment quand nous viendrions le voir.
Il y a du monde partout depuis cet après midi.
J’ai saisi son dossier et je traverse le couloir vers la chambre indiquée sur celui-ci. Deux vieillards en attente de placement sont allongés sur des brancards à la queue leu leu dans le couloir.  L’un appelle sa mère et désire la rejoindre, l’autre lisse méthodiquement du plat de la main le drap qui a été posé sur son corps desséché sans un mot. J’arrive à la salle d’examen que l’on a pu libérer à la hâte à leur arrivée du fait de son état.
Monsieur G. à les deux mains agrippées à la barrière du brancard. Il gémit sans cesse et ne semble pas nous voir. Ses cheveux sont recouverts de sang coagulé, faisant comme un casque poisseux. Le drap bleu qui devrait le recouvrir glisse sans cesse à chaque mouvement désordonné de ses longues jambes maigres. Son épouse le réajuste en même temps qu’elle me parle.  Elle  m’explique qu’il est tombé cet après midi après sa petite promenade quotidienne sur la terrasse. Il semblait fatigué mais ne se plaignait de rien. Comme à son habitude d’ailleurs depuis qu’il a cette maladie. Ce mal qui le ronge petit à petit l’envahissant inexorablement jusqu’à toucher son intellect si brillant auparavant. Les métastases ont fait beaucoup de dégâts ces derniers mois. Il a dû essayer de se lever seul durant sa sieste. Quand elle l’a retrouvé vers 16 heures, il était allongé sur le lit, une plaie du cuir chevelu avait saigné abondamment. Au début, il semblait réagir à ses questions puis progressivement il n’a fait que râler, semblant ne plus être déjà de ce monde. Elle a appelé le médecin de garde avec retard. Elle a un peu hésité car ce n’était pas leur docteur habituel. Elle s’en excuse d’ailleurs interrogative à mon égard car craignant que cette négligence n’est contribué à l’aggravation de l'état de son époux. Le Docteur a fait quelques points de suture et a dit que son état était préoccupant. Et il est reparti. Elle a bien compris ce que voulait dire « préoccupant », mais c’était trop difficile de rester seule avec lui. Alors elle a appelé un autre médecin  un peu plus tard en début de soirée et celui-ci n’a pu passer qu’à 23h30, a fait très vite, appelé une ambulance et les a envoyé tous les deux aux urgences, en expliquant que c’était « sérieux ». Préoccupant et sérieux, voilà qu’elle était fixée mais elle n’a pas osé s’opposer a cette décision, elle n’a pas réussi à dire qu’elle voulait qu’il reste dans son lit, dans cette chambre qu’il ne quitte plus depuis deux mois. Elle n’a pas eu le courage de se dire que c’était vraiment fini.
L’infirmière entre dans la chambre car il y a une autre admission, un état de mal asthmatique. Je dois sortir en m’excusant, la laissant avec son époux agonisant sur le brancard. En même temps que je vais voir une jeune femme qui s’améliore déjà  avec l’aérosol. Je demande à Luc l’aide soignant d’aller chercher un vrai lit  dans le couloir de réa. Il n’y a plus de place dans l’hôpital et depuis un mois tous les soirs plusieurs patients doivent attendre après leur prise en charge que l’on déniche un lit non avouée dans un service ou qu’il y a un décès. 
J’y retourne avec honte, avec la crainte qu’il soit  décédé sur le brancard.
Elle est toujours aussi calme, compatissante avec notre travail. Elle lui passe la main sur le front et essaye de le calmer quand il s’agite un peu. Je suis gêné je ne sais pas quoi lui dire. Pour me donner de la constance, pour lui prouver que l’on essaye de faire quelque chose, je demande tout haut à l’infirmière qui m’accompagne, si le lit est prêt dans la chambre n°1. Cela fait déjà 1 heure qu’ils sont arrivés.
Luc entre dans la chambre, le lit est prêt. Il a senti lui aussi qu’il fallait faire vite et que ce petit geste était important. Nous poussons tous les trois le brancard vers le bout du couloir. Monsieur  G. geint de moins en moins, ses yeux sont grand ouverts et son regard est fixe. Il faut faire vite. Pendant que son épouse attend dans le couloir nous tirons sur les quatre coins du drap et le glissons sur le lit. Il a l’air tellement paisible maintenant. L’infirmière doit s’éclipser car la sonnette de l’accueil à retenti de nouveau, la nuit il faut tout faire à la fois. Luc va chercher madame G. En quittant la pièce il a éteint le plafonnier et laisse la lumière de veille, il revient avec des compresses pour nettoyer du sang séché sur la joue. Je les laisse lâchement  dans cette pièce un peu plus confortable, je sais que la fin est là. Je referme doucement la porte. Il y a une admission à voir. Plus tard dans la soirée je  vois madame G.  Passer devant le bureau, elle sèche une larme et me dit
- ça y est docteur, merci beaucoup
Cette nuit aura un goût étrange d’impuissance et de profond respect pour cette femme si digne.