Burn out

 

Brûler en dehors, se consumer. C’est cela littéralement que veut dire se terme anglo- saxon. Le métier que j’exerce est fantastique, mais il use inexorablement, petit à petit sans que l’on s’en rende compte. La tension monte, le sommeil devient difficile, la souffrance des malades devient de plus en plus insupportable. Un jour alors que l’on se dirige vers la porte des urgences pour y prendre son service, l’on surprend son cœur qui bat la chamade alors que rien ne le justifie. Une envie teinté de panique inconnue jusque-là de faire demi tour de s'enfuir nous envahi.

Cela n’est rien. se rassure-t-on

Nous avons l’habitude.  Comme lors de nos interventions où la le stress à toute sa raison d'être, nous luttons, masquons tout  et l’on arrive à vaincre quelques temps. Plus tard quand les patients finissent par nous rebuter, que la compassion décline elle aussi alors l’on se retrouve désemparé. Il est impossible de soigner sans cet irrésistible besoin d’aider l’autre et de partager.

Il est largement le temps de s’interroger  alors  que les prémices de la démission du corps apparaissent. Cela  est salvateur. Le métier de médecin permet toujours à force de volonté de trouver d’autres voies. Elles nous paraissent moins exaltantes sans doute, mais après les urgences qu’est –ce qui pourrait l’être plus ?

Elles sont en tout cas beaucoup moins stressantes.

Tout le monde n’a pas eu ce temps d’adaptation ou cette volonté de remise à plat.

Je me rappelle durant ma vie de médecin de plusieurs épisodes qui ont été vite étouffés par le milieu médical. Je les avais initialement mis sur le compte de la fatalité. Avec le temps ils prennent une toute autre signification.

Un matin de lendemain de garde, le médecin n’était pas reparu de sa chambre. Il avait terminé sa dernière intervention SMUR à 3 heures du matin et depuis plus personne ne l’avait vu. La porte de l’internat était fermée à clef. On avait tambourinait en vain. Les volets étaient fermés de l’extérieur. Avec une perceuse le technicien de garde avait du forcé la serrure. Il était derrière,  mort depuis déjà plusieurs heures comme l’attestait la raideur de son grand corps. Une perfusion était au pli de son coude. Il avait su réaliser méticuleusement un cocktail subtil et définitif, et avait emprunté la seringue électrique du SMUR pour appliquer le scénario mortel. Petit à petit le mortel poison minute après minute s’était immiscé dans ses veines l’emmenant dans un autre monde selon un déroulé qu’il avait prévu. J’imaginai en voyant les ampoules vides sur la table de nuit le déroulé pharmacologique de ce voyage définitif : d’abord la torpeur et le sommeil avec l’hypnotique puissant, enfin l’insuline pour diminuer progressivement le sucre vital pour nos organes. Le monde où il était arrivé était je l’espère  meilleur. Tout le monde en parlait à voie basse à l’internat au moment du déjeuner.

Une semaine, cela avait duré une petite semaine puis le silence s’était installé dans notre tribu de blouses blanches. C’était une erreur de parcours.  L’ignorer s’était tacitement la bannir de façon superstitieuse.

La fatigue, les missions SMUR difficiles s’était accumulées. Tout s’expliquait d’après mes collègues avec une évidence trop claire. Il faisait partie des dégâts collatéraux. Comme il est normal de perdre des soldats au front, la mort d’un urgentiste par suicide faisait partie des risques. Tout le monde et moi le premier s’était déjà persuadé que cela n’arrivait qu’aux plus faibles. Une sorte de régulation de notre espèce s’instituait ainsi.

La répétition dans le temps de ces cas plus ou moins tragiques, jusqu’au premiers signes personnels auront eu raison de ma vision simpliste.

François était jeune interne. Je faisais moi déjà partie des anciens quand nos routes se sont croisées aux urgences. Je terminais mes stages de SMUR en Octobre et je n’avais plus qu’à passer ma thèse. Il travaillait de façon consciencieuse, un peu renfermé sur lui même, mais avec la volonté farouche de devenir réanimateur. Un jour il a manqué à l’appel. Durant le week end, il avait attendu que sa copine parte chez sa mère. Il avait pris soin de prévenir le service qu’il aurait du retard le lundi. Il avait alors ingéré une dose massive de béta bloquants. Ces médicaments ralentissent le coeur jusqu’à l’arrête complètement. Sa copine était revenue plus tôt que prévue le découvrant inconscient dans le canapé mais cela n’avait pas suffit. C’est une de mes collègues de SMUR qui était aller réanimer François. Malgré tout ses efforts, et son transfert en réanimation il était décédé quelques jours plus tard. Le cerveau n’avait pas tenu le coup. Chacun d’entre nous avait senti le vent du boulet passer. Fatigué, non reçu à l’internat, un peu houspillé par son chef de clinique, cela expliquait tout. Une fois encore personne n’avait osé aller plus au delà. Le silence avait finit avec le temps à absorber encore cette vie trop éphémère.

Maude s’était mise à boire. Un verre de vin pour faire passer le stress après le travail puis deux puis trois. Cela ne suffisait plus. Lors d’une réunion de travail organisée au restaurant il avait fallu l’a ramener chez elle. Elle était complètement ivre. Cela nous avait fait bêtement rire. Elle avait déballé sa vie sans pudeur à table, ses doutes existentiels exacerbés par son métier. Un jour elle a quitté le service.

Le SMUR voisin nous a signalé son décès deux ans plus tard. L’alcool et les médicaments avait eu raison de son humeur de plus en plus maussade. Maude était sensible. Elle pleurait avec les malades quand leur cas était désespéré, elle tremblait quand la sonnerie du SMUR sonnait. Elle a fuit nos urgences mais cela n’a pas suffit.

La pilule pour dormir, la tension artérielle qui se dérègle, les cigarettes qui passent le temps en garde, les conduites addictives et les indices des dérèglements induits par ce si beau métier ne manquent  pas parmi mes collègues. En parler est difficile. Notre position de médecin nous place artificiellement au dessus de ses considérations. Nous avons une fâcheuse tendance à garder tout cela entre nous dans un pacte tacite, qui soude notre groupe. Ceux qui ne tiennent pas n’ont qu’à partir. Personne,  aucun tiers ne viendra nous alerter de la  menace qui plane. Il faut bien des soldats au front qui s’élancent hors de la tranchée sous le feu de la mitraille. Les généraux regardent seulement à l’arrière que les troupes sont encore en nombre suffisant. J’ai choisi de déserter mais quitter ma tribu est tellement difficile. Une impression de lâcheté persistera toujours même si d’autres comme moi lâchent aussi avec le temps. J’espère qu’un jour nous aurons le courage de prendre tout cela en compte, et limiter les dégâts de ce feu qui consume petit à petit de l’intérieur.