Bonne année


Tous les ans c’est la même chose. Qui fera Noël et qui fera le 31 décembre. 

Une réunion entre collègues en staff qui sera malgré l’évidence encore le lieu de débats. Il ya toujours ceux qui sont près à rendre service, ceux qui ont toujours l’impression d’avoir fait plus que les autres, ceux qui ne sont pas là ou ne disent rien car ils savent bien que ce devrait être leur tour. Mais ils faudra de toutes façons quatre à 6 sacrifiés encore cette année.

Ces dates sont importantes. Ces passages  rythment au delà de nos propres années la vie Après avoir attendu dans notre enfance avec impatience les cadeaux au pied du sapin, on s’émerveille avec nostalgie de la joie des plus jeunes. Au bout de la nuit, on boit, on mange et on retombe un peu las et barbouillés le premier Janvier au matin de la nouvelle année.

Tout est finit un peu comme un accomplissement orgasmique. Tout est en quelque sorte à recommence en guettant de nouveau la prochaine échéance universelle de l’année d’après.

Les urgences et les gardes nous font glisser hors de ce temps. Témoins et veilleurs tirés au sort ou volontaires, une équipe est là, pendant que les autres font la fête.

Ce sont encore des moments volés sur l’autel du devoir professionnel.

 Combien de fêtes de fin d’année j’ai passées à l’hôpital ?

Pourtant je suis également fier et heureux que l’on m’ai confié ce rôle.

J’ai embrassé ma femme, mes enfants eux sont déjà partis pour leurs soirées. Ils grandissent. 18h30 dans ma voiture en direction de l’hôpital, le journaliste après avoir énuméré les quelques professionnels qui comme moi seront au travail ce soir, annonce un reportage culinaire. Un chef cuistot à la mode explique comment faire bon et pas trop lourd pour cette soirée du 31. J’espère qu’il sera écouté cela m’évitera peut être un ou deux malades. Typiquement les plus vieux qui mangent pour l’occasion des huitres, s’asphyxie au petit matin dans une insuffisance cardiaque. Ils n’auront supporté un excès de sels inhabituel, mais heureusement nous arriverons à juguler cet épisode la plupart du temps avec un peu de diurétique.

Il y a beaucoup de voitures sur la 4X4 voies. Tout le monde se rend chez les uns et les autres. J’imagine leur voyage de retour avec une certaine appréhension. Pourvu que cette année il n’y ai pas de drames.

Aux urgences l’équipe de relève à une mine morose, celle qui termine est radieuse. Il n’y a pas trop de travail plein de lits de disponibles. C’est impressionnant comme une seule fête peut vider l’hôpital de toute une quantité de malades. Les fins d’années ne sont pas pour autant curatives que cela sinon il faudrait en prescrire au moins une par semaine, cela couterait peut-être moins cher à l’état que le trou de la « sécu » et arrangerai en tout cas nos problèmes récurrents de lits.

C’est une parenthèse dans la vie des chacun. Beaucoup de malades en fin de course attendent de passer ce cap, pour se laisser aller ensuite.

Voilà le premier équipier de cette croisière vers la nouvelle année. Un coup de couteau à huitre mal placé au niveau du pouce. Trois points de suture, et il pourra vite retourner à son réveillon. Il nous remercie vivement. Il se sent sans doute un peu coupable de nous laisser là alors qu’il repart. Une vielle dame est emmenée par les pompiers. Elle est tombée chez elles où elle vit seule. Personne n’a voulut appeler sa fille qui est partie chez des amis. C’est elle qui l’a demandé exige. Elle ne veut pas gâcher la fête des jeunes… Elle restera avec nous jusqu’à demain. Médicalement elle n’a pas vraiment grand-chose, mais elle est seule chez elle depuis le décès de son époux. Au moins elle sera avec nous.

Petit à petit la garde s’anime et la tranquillité espérée s’éloigne. Un marin arrive avec les pompiers. Il n’arrivera pas en pleine possession de ses moyens jusqu’à minuit. Avec quelques amis de bar, les seuls qu’il a, il a bu trop vite. Il est tombé à la renverse de sa hauteur et a perdu peu de temps connaissance. Cela a été suffisant pour déclencher les secours. A peine arrivé aux urgences il veut partir chez lui. Il a bien du mal à mettre un pas devant l’autre  mais n’en ai pas moins résolu. Il faut que l’infirmière et moi même fassions preuve de beaucoup de patience pour le résoudre à rester un peu de temps avec nous. Il abdique, mais semble être maintenant résolu à demander l’infirmière en mariage. Il est au fond bien seul. Il est la plupart du temps en campagne de pêche. Il me raconte la pénibilité de son travail, ses horaires de nuit. De retour à terre il n’arrive pas à s’acclimater à la vie de terrien. Il partage son temps entre sa vieille mère et des bordées dans les bars. Cette vielle de premier de l’an a été pour lui propice aux confidences.

Une jeune fille arrive avec les pompiers. Elle est sur le coté, souillée de vomi. Une cuite. Peu de temps après ses copains font le forcing dans la salle d’attente pour la voir. Si ils tiennent debout, leur discours est plutôt bancal. Ils ont bien rigolé et l’on fait boire. Certes elle a bien voulut, mais maintenant elle est dans le coma. Elle réagit heureusement encore un peu par des grognements quand on la stimule. Elle est quitte pour une nuit en salle d’urgence vitale sur le coté pour qu’elle ne se vomisse pas dans les poumons. Je fais la morale aux deux jeunes. J’ai décidé de leur pourrir leur soirée.

-Si elle a des complications et qu’elle va en réanimation vous serez responsables.

Ils commencent à décuiter d’un coup, la mère de leur copine n’est pas au courant.

-Vous ne lui direz pas ?

La jeune fille est majeure, sauf circonstance dramatique, le secret médical la protège. Je me garde bien de les rassurer sur ce point. Ils passeront du coup la nuit à attendre dans la salle d’attente, l’un deux s’endormira sur les sièges.

Et ça y est le téléphone et le SMUR qui sort ! l’équipe se réduit d’un coup de trois personnes.  Une douleur thoracique à la maison de retraite du coin. Peut-être l’effet du foie gras en boite et du moelleux donné pour le menu. Ce n’est pas moi qui sors.

Un petit garçon en pyjama avec son doudou dans les bras semble ne pas avoir du tout la crainte de la suture que je vais devoir lui faire. En jouant autour de la table basse il s’est ouvert l’arcade sourcilière. Ce silence est lié au fait qu’il n’attend que de retourner le plus vite possible à la maison ils devait y ouvrir le cadeaux de son deuxième noël prévu aujourd’hui. C’est le miracle des familles recomposées, les fêtes se dédoublent .Je regarde la pendule 00h15, déjà. On a même pas vu passer le nouvel an.

Je lance le signal et tout le monde  se souhaite la nouvelle année. L’infirmière résiste tant bien que mal à la bise du capitaine, qui s’est relevé de son brancard après une sieste autant  sonore que brève et semble avoir retrouvé de l’entrain.

Il va pouvoir repartir.

L’évaluation rapide du risque entre ce qu’il tombe, ou ai un autre problème sur la voie publique et celui de nous empêcher de travailler ou d’être obligé de le ligoter avec un calmant dans les fesses est largement en faveur de sa liberté retrouvé même si elle n’est pas encore totalement sobre.

Le SMUR n’est pas rentré. Ils ont été détournés sur une autre mission. Un pendu en cette nouvelle année. Le passage est plus difficile pour ceux qui sont seuls et n’ont déjà pas le moral. Ils vont attendre un moment là bas, dans le froid au pied de l’arbre sur la place du village. L’endroit a été tristement choisi par le suicidé. Tous les villageois ont vu la scène cela marquera cette date pour eux aussi.

Il était là, un casque de musique sur les oreilles, comme si de rien n’était.

Rien n’était plus effectivement.

Bien difficile après ce récit que nous font nos collègues à leur retour de gouter enfin vers 3 heures du matin quand les choses semblent  calmer un peu la coupe de champagne, que l’équipe s’était prévue.

Il en va ainsi des urgences. Le rythme est donné par les malades, leur état, nos succès, nos échecs, et peu importe Noël, le premier de l’an, la nuit, le jour.

Nous sommes en dehors du temps simplement raccroché à la vie des autres.