Les fleurs de bord de route.


C’est samedi, et je suis de repos.
 Deux jours de suite. Enfin...
Sur le calendrier  avoir deux jours de suite à la maison où ma femme est également là est un miracle. Les métiers à garde, ceux ou la permanence le week-end est nécessaire, amènent inéluctablement à un sacrifice. Un de plus,
Ceux qui ont la chance d’avoir au repos dominical régulièrement ne connaissent pas leur chance.
Cela ajoute sans doute à la pénibilité du métier.
C’est peut être l’aubaine pour ceux qui ne supportent plus l’ambiance familiale. Ce mode de travail, peut provoquer l’éclatement du noyau familial. Une vie parallèle, s’installe naturellement dans ces conditions. Elle va au-delà du travail. Les collègues  deviennent des copains, les relations peuvent pour certains aller plus loin. C’est un facteur de risque… Cette association de compagnons d’infortune nous rapproche forcément de façon plus intense que des seules relations professionnelles. Les familles elles ne supportent pas toujours nos absences répétées et l’irrégularité de nos disponibilités.
A confronter jour et nuit les malheurs de l’humanité souffrante, sans pouvoir toujours se reposer après amène aux  confidences entre le personnel de l’équipe. On se repose les uns sur les autres au delà du raisonnable. 
Quand on partage la lutte contre la mort, quand on laisse une consoeur pleurer sur son épaule après une réanimation sans effet qu’est-ce que le reste? Le faire avec ceux qui sont plus souvent là est peut-être salvateur.
J’ai eu la chance, ou peut être la pudeur de ne pas aller jusque là. Mon épouse a su faire face par ses silences compréhensifs.  Elle a accepté avec abnégation mes humeurs variables de lendemain de garde. Les quelques instants d’échanges que nous avons rarement là dessus ont sauvegardé ma quiétude. Ce repos protégé m’a permis de repartir.
Il est bon de pouvoir décrocher un peu tout de même.
C’est un peu comme une permission, nous revenons du front. Nous réintégrons le monde normal, où tout à chacun n’a pas idée de ce que l’on a vu ou vécu. Nous sommes les poilus de la permanence de soins. Chaque corporation médicale ayant eu au fil des années naturellement tendance à déserter ce terrain de travail pénible et déroutant.
 Deux jours de suite  ce n’est pas trop avant de retourner au front.
Une journée pour effacer la fatigue de la garde de la veille, pour régler tout les petites obligations de la vie quotidienne f non honorées faute de disponibilité. La deuxième journée, pour se demander éventuellement que faire, et peut être espérer glandouiller ensemble, avant de repenser à la garde du lendemain.
Oublié les malades, le boulot, un instant à 100 % pour soi même et les proches : un bonheur simple et précieux.
J’en profite souvent de façon un peu compulsive, voulant souvent en faire trop à la fois. J’ai l’impression ainsi de rattraper le temps perdu : je vais bricoler, ensuite jardiner un peu, cet après midi je ferai un tennis après je sortirai mes peintures, et puis on ira au restau… Souvent le soir arrive et je n’en ai pas fait le tiers.
Cette fois ci, je m’y suis tenu. J’ai pris une carte de pêche avec mon plus jeune fils. J’avais promis d’y aller, et nous avons commencé la journée par cela .
La fenêtre entrouverte de la voiture laisse passer l’air un peu frais de l’arrière saison. Le soleil est radieux. Il a plu durant tout l’été. Et maintenant que tout le monde est reparti au boulot les vacances finies, on profite du soleil. Nous avons passé une heure au bord de l’eau à taquiner le brochet. Nous sommes bredouilles, mais heureux quand même de ce moment de partage. Sur le bas coté de la route vert , on aperçoit  une tâche de couleur. En s’approchant, je découvre un  bouquet.
 Les fleurs de bord de route je les avais oubliés.
Une croix de bois clair, sobre est plantée sur le talus. Le petit bouquet y est accroché. Olivier et Valérie, les prénoms sont gravés dans le bois verni suivis d’ une date .
C’était un soir d’hivers. Un accident de la route dans la nuit tombée. Ils arrivaient pour Noël. Ils devaient sans doute passer la semaine chez leurs parents. Les jouets étaient éparpillés sur la route. Lui et elle morts sur le coup, le chien aussi. Les enfants étaient très jeunes, deux frères, seuls survivants précaires. Ils s’en sont sortis. l’un après une intervention sur sa rate, l’autre après surveillance neurologique en neurochirurgie à cause d’un traumatisme  du cerveau. Les petits orphelins de Noël. Triste cadeau, offert par un conducteur alcoolisé, qui était venu s’encastrer dans leur voiture.
Lui n’avait rien eu ou presque : une plaie du front. C’est tout. La collègue qui l’avaient suturée lui avait lâcher sans pouvoir se retenir.” Maintenant vous allez pouvoir construire des cercueil”. Il était en effet menuisier de métier. ll sanglotait comme un enfant. C’était trop tard...
Voilà mon instant privé de bonheur, si rare, c’est volatilisé.
 Pour y arriver il j’avais été patient, je m’étais vraiment évadé.
 Ces fleurs de bord de route, les maisons, les lieux, rythment sans cesse mes souvenirs du boulot, plus au moins heureux. Les souvenirs s’infiltrent dans la pensée en cours, insidieusement l’étouffe et s’imposent.
 Les bouquets colorés rappellent toujours les drames. Ces autels du souvenir, aident sans doute au deuil des proches de ses vies trop vite fauchées.
Moi elles me gâchent la journée. Ma pensée  qui vagabonde est stoppée nette, me rappelant à la cruauté des choses de la vie.
C’est un peu comme si je me promenais dans un cimetière à la dimension de mon univers. C’est comme ça, je n’y peux rien. Je relativise ainsi plus facilement les petits tracas de la vie quotidienne. Des fois l’insouciance de ceux qui ne savent pas, doit être reposante et je l’envie.
La fin de ce week-end ne sera plus pareil. Heureusement, que nous sommes bien fait, avec une capacité plus ou moins accrue pour oublier. La soirée prévue un peu plus tard avec des amis, aura vite fait de dissiper ce souvenir et me remettre dans la vie.
Les fleurs de routes, ne fanent jamais.
Elles sont changées régulièrement où immortalité pratique elles sont en plastiques. Quand je les vois une fois, je les guette ensuite toujours à la sortie du virage.