Pêche et nature.
Mes vacances au Yaudet ont toujours été occupées à la pêche. Pourquoi, comment est venue cette passion?
Difficile de savoir, de même que plus tard celle de la chasse.

Mon grand père, me disais souvent que si j’avais connu un de ses frères, décédé trop tôt, j’aurai été «  à mon affaire ». Il était un pêcheur et un chasseur invétéré. Peut-être quelques atavisme familiaux m’étaient restés grâce aux mystères de la génétique.
C’est mon père qui m’a véritablement initié à la pêche. En tout cas c’est grâce à lui que ma passion s’est déclarée.  J’avais dans les 5 à 6 ans. Je le harcelais depuis plusieurs jours pour aller pêcher alors que nous étions en vacances chez les grands parents. Il finit par bien vouloir  m’emmener à l’aventure. Tout avait commencé par l’achat d’une ligne chez "Daniel" le coutelier de Lannion. C’était un  simple bout de fil avec un bouchon vert et rouge et un hameçon. Un après midi, j’avais échappé à l’obligatoire sieste que je détestais, et que les parents imposent aux enfants. J'ai compris en devenant père à mon tour qu'elle servaient sans doute plus aux parents qu'aux enfants.

Nous étions descendus sur la grève, marchant le long des méandres dessiné par le petit ruisseau du Pont Roux sur le sable.
Devant la bande des rochers, avec la petite pelle en fer rouillée au bout rond, il m’avait montré comment ramasser des vers, les « buzucs » en breton, espèce de gros corps boudinés noirs suivi d’une plus longue queue. Il suffisait de trouver le tortillon de vase sur le sol et de creuser. De temps en temps un pauvre vers, se faisait trancher en deux par la pelle, il laissait alors échapper un jus orangé, plutôt ragoutant.
Muni de quelques appâts, nous avions continué notre chemin, vers le corps de garde. Un rocher juste au dessous de la petite maison des douaniers était un affût connu de mon père pour la pêche aux petits poissons de friture tacots, petits lieux et éperlans.
 
La ligne fut déroulée de son support en plastique beige avec solennité. Le bouchon envoyé à la main flottait non  loin du rocher. Mon père m’expliqua qu’il fallait le surveiller attentivement. S’il coulait je devais le prévenir, c’était qu’un poisson avait mordu. J’étais entouré, sur les cailloux environnants, d’autres pêcheurs équipé  de cannes à pêche perfectionnées. Je n’intéressais personne, moi pauvre novice haut comme trois pommes. Je scrutais avec attention le bouchon qui se dandinait au grée des flots devant moi.  Mes yeux étaient un peu aveuglés  par le reflet du soleil sur l’eau. D’un coup, je le voyais  tournoyer, filer lentement puis couler franchement.
« Papa ! Papa ! il coule » dis je avec anxiété, ne sachant plus que faire du fil qui se tendait dans ma petite main.
Mon père, qui était resté un peu en arrière assis sur le rocher, s’ approcha rapidement. Il s ‘ empara du bout de nylon que je tenais fébrilement à la main. Il s’attendait sans doute à remonter un éperlan, ou bien un petit tacot, comme cela se faisait habituellement ici. Rien de tout cela, le poisson était bien plus gros et se défendait. Il lui fallut jouer d’adresse pour ne pas rompre le fil de nylon trop fin. Petit à petit le poisson fut ramené, sous le regard cette fois attentif des autres pêcheurs. Il se laissait tracter par le fil, glissant à la surface, renvoyant les reflets argentés de ces écailles, sous mes yeux émerveillés. C’était une belle dorade. Hors de l’eau mon père lui asséna un coup sec sur la tête avec le manche de la pelle pour abréger son agonie.
Ma première pêche était exceptionnelle, la chance du débutant. Les vieux pêcheurs autour de moi étaient envieux leur silence voulait tout dire.  Rien ne servait d’avoir un attirail perfectionné, seule la foi comptait. Mon père enfila le poisson par l’ouïe sur le manche de la pelle. Il glissa jusqu’au bout et je parti avec lui vers la maison. J’arborais fièrement ce trophée la pelle sur l’épaule.
Je guettais les regards de ceux que nous croisions pour y déceler l’admiration. C’était mon poisson, mon premier et c’est sûr il y en aurait d’autres maintenant.
Nous avions franchis le petit portillon bleu du bas du jardin en haut de rocher. Je n’avais le droit de l’emprunter qu’avec un adulte, les marches et roches étaient raides et hautes pour mes petites jambes.  Le terrain en pente jusqu’en haut du grand mur au dessus de la grève menait chez mes grands parents
Passant par la « chauffe », rez de jardin de la maison où était la chaudière, je grimpais avec hâte les marches en béton peintes pour retrouver ma mère et mes grands parents. Ils étaient dans la cuisine, pièce la plus fraîche à cette heure de la journée. Mon père leur annonçait en même temps que moi ma pêche miraculeuse. Sans aucun doute il avait été  surpris pensant initialement seulement me promener en cédant à un mon caprice. Maintenant il était fier de moi.
Qu’elle ne fut pas ma désillusion, ma mère refusait de croire l’histoire que je lui racontais.
 Elle était persuadée que nous avions acheté ce poisson. Je dois avouer que même après les années, cette première sensation de déception et d’injustice reste. Au bout d’un moment, voyant les arguments sincères, elle ainsi que mes grands parents finirent par admettre ce qui était la vérité : j’étais un vrai pêcheur. Par la suite, tout ce qui fut marre, rivière, bras de mer m’attirèrent  avec toujours l’arrière pensée d’y tremper un fil et d’attendre la pêche miraculeuse.